Etat de droit et etat d’urgence :
l’impertinence au-dela du paradoxe
Quel que soit la tournure que l’on prête à l’Etat de droit, sa conceptualisation ne peut être envisagée que par un contrôle et un encadrement strict des pouvoirs de l’exécutif. Un tel encadrement suppose ainsi un jeu d’équilibre qui nourrit la vitalité démocratique.
Or, depuis les attaques du 11 septembre et le mouvement de restrictions de libertés qui s’en sont suivies au travers du « Patriotic Act », il a été institué une forme de normalisation d’un régime d’exception, voulu et accepté par les démocraties occidentales.
Plus récemment, en France, les attentats qui se sont succédés ont servi de justifications et d’explications à l’établissement d’un régime d’exception : l’état d’urgence.
Ainsi, de l’état d’urgence sécuritaire, on a basculé avec la pandémie de Covid 19 à l’état d’urgence sanitaire.
Par voie de conséquence, les pouvoirs publics, se prévalant d’une situation d’exception, entreprennent des modalités exceptionnelles d’exercice du pouvoir, avec la mise en place de dispositifs parfois hors de tout contrôle, tel qu’exigé par l’Etat de droit, d’ordinaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que, prenant acte de deux récentes décisions du Conseil constitutionnel, le Conseil d’État a précisé le régime du contrôle de la légalité par le juge administratif des ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, non ratifiées par le Parlement passé le délai d’habilitation. Si celles-ci doivent faire l’objet d’une QPC, elles pourront toujours être contestées devant le Conseil d’État sous certaines conditions.
Aussi, malgré l’intervention du Conseil d’Etat, force est de constater qu’il peut difficilement exister une forme compatibilité entre Etat de droit et état d’urgence.
Dominique Rousseau en est convaincu. Pour lui, « De quelque manière que l’on tourne les choses, l’état d’urgence, c’est la mise en suspension de l’État de droit : les principes constitutionnels qui le fondent et le distinguent et les mécanismes et exigences du contrôle juridictionnel sont mis à l’écart ».
Ainsi se dégage une forme de paradoxe qui n’a d’égale que l’immensité du mal à conjurer à savoir le terrorisme d’un côté, la crise sanitaire qui paralyse la planète d’autre part.
Pour autant, existe-t-il véritablement une incompatibilité avérée entre Etat de droit et état d’urgence ?
L’état d’urgence ne serait –il pas une sorte de prétexte pour masquer les insuffisances de l’Etat tant en matière sanitaire que sécuritaire.
Loin de tout dogme idéologique, l’idée c’est de privilégier plutôt une analyse teintée de pragmatisme. S’agirait-il simplement comme le soutiennent certains d’une volonté de décomposition progressive de la démocratie ?
Dans tous les cas et fort heureusement, il existe dans nos dispositifs de droit commun des moyens de si non endiguer, au moins amoindrir les menaces qui pèsent sur l’effectivité de nos droits les plus élémentaires.
1. Dominique Rousseau, « L’état d’urgence, un état vide de droit (s) », CERAS, Revue projet, 2006/2 n°291 pp19 à 26.
2. https://www.marianne.net/agora/etat-durgence-crise-sanitaire-letat-de-droit-menace
A ce propos, les magistrats du Palais Royal ont pu considérer que de toute évidence, les ordonnances conservent « le caractère d’actes administratifs, aussi longtemps qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une ratification, qui ne peut être qu’expresse, par le Parlement ». La ratification par le Parlement donne à l’ordonnance le statut d’une véritable loi.
Autrement dit, même pris en dehors de tout contrôle, les ordonnances peuvent, heureusement, faire l’objet de recours pour excès de pouvoir.
Conséquemment, avant leur ratification, les ordonnances constituent des actes administratifs. L’ordonnance peut donc être contestée devant le Conseil d’État au moyen d’un REP. Ce dernier peut prononcer l’annulation.
C’est d’autant plus un garde-fou que , le Conseil d’État ayant déjà admis en septembre dernier que « la circonstance qu’une ordonnance n’ait pas encore été ratifiée ne fait pas obstacle, lorsque le délai d’habilitation a expiré, à ce que, dans le cadre d’un recours dirigé contre un décret pris pour son application, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de ses dispositions intervenues dans des matières qui sont du domaine législatif soit transmise au Conseil constitutionnel » (CE, 28 sept. 2020, n° 441059).